Complications ophtalmologiques aiguës des maladies systémiques

FAQ

 

MIKAEL GUEDJ




Les urgences ophtalmologiques peuvent se répartir schématiquement en quatre grandes catégories : urgences traumatologiques (plaie du globe, corps étranger, brûlure, contusion), urgences à oeil rouge plus ou moins douloureux (abcès de cornée sous lentilles, glaucome aigu, conjonctivite virale), urgences avec altération de la vision (décollement de rétine, occlusions vasculaires rétiniennes, neuropathies optiques) et urgences neuro-vasculaires avec troubles oculomoteurs ou diplopie (dissection carotidienne, paralysie du III liée à un anévrysme compressif). Les “complications ophtalmologiques aiguës des maladies systémiques” regroupent un ensemble de pathologies d’une telle diversité sémiologique qu’elles peuvent s’apparenter à chacune de ces catégories. En effet, leurs origines extrêmement variées englobent des causes infectieuses (tuberculose, syphilis, toxoplasmose, herpès), tumorales (pseudo-uvéite lymphomateuse), vasculaires (rétinopathie hypertensive, Horton), métaboliques (oedème maculaire diabétique), inflammatoires pures (sarcoïdose, vasculopathie lupique), toxiques (uvéites médicamenteuses), neurologiques (sclérose en plaques) et même pseudo-traumatiques (perforation sclérale nécrosante au cours des polyarthrites rhumatoïdes sévères)! Par souci de clarté, et plutôt que d’établir un classement par étiologie, il paraît préférable d’aborder cette question si vaste par une approche pratique, basée sur les modes de présentation clinique devant faire rechercher telle ou telle cause spécifique. 

I. Les urgences avec oeil rouge ou douloureux
Les glaucomes aigus et kératites aiguës mis à part, les causes d’œil rouge et douloureux liées à des maladies de système sont dominées par les uvéites antérieures aiguës et les sclérites. Avant d’en distinguer les principales causes, il est nécessaire de rappeler la nomenclature internationale définie pour décrire les uvéites (SUN working group, 2004).

Les uvéites - définition et classification (figure 1)
Le terme d’uvéite désigne une inflammation intra-oculaire, pouvant toucher les segments antérieur (chambre antérieure, iris, corps ciliaires), intermédiaire (vitré) ou postérieur (rétine) du globe oculaire. Ses causes, extrêmement variées, peuvent être d’origine infectieuse, inflammatoire, tumorale (pseudo-uvéites), constituer des maladies isolées ou systémiques (association à d’autres organes atteints), ou encore rester d’origine inconnue ! 


Figure 1 : Classification des uvéites selon le site primitif de l’inflammation (d’après le SUN)
(Illustration © M.Guedj)

Une uvéite antérieure est une inflammation dont le site primitif est le segment antérieur de l’œil - chambre antérieure, iris, corps ciliaires - . C’est ce type d’uvéite qui est responsable des symptômes rougeur et douleur. Une uvéite intermédiaire est une inflammation dont le site primitif est le vitré. Une uvéite postérieure est une inflammation dont le site primitif est la rétine ou la choroïde. Elle regroupe donc les entités de chorio-rétinite (au premier rang desquelles figure la toxoplasmose), rétinite, neuro-rétinite, et choroïdite -qui peut être focale, multifocale ou diffuse-. 
En cas d’inflammation primitive simultanée de la rétine (ou choroïde), du vitré et du segment antérieur, on parle alors de “panuvéite”. 
Il faut bien comprendre que la plupart des uvéites intermédiaires et postérieures peuvent se compliquer d’une extension antérieure de l’inflammation, et donc se manifester par un tableau d’œil rouge et douloureux. Par exemple, la toxoplasmose oculaire (uvéite postérieure) ou la sarcoïdose (à présentation classiquement intermédiaire et postérieure) peuvent souvent se présenter de manière bruyante -avec rougeur et douleur- par leur composante antérieure aiguë associée. Parallèlement, des uvéites antérieures très intenses peuvent se compliquer par contiguïté de hyalite ou d’œdème maculaire, et donc de baisse d’acuité visuelle, sans être considérées pour autant comme des uvéites postérieures.
Quoi qu’il en soit, les causes d’uvéites strictement antérieures liées à des maladies systémiques sont dominées par les uvéites liées à l’antigène HLA-B27 (classées au sein des spondylarthropathies) chez l’adulte. L’interrogatoire devra donc pister des signes évocateurs de spondylarthrite ankylosante (lombo-sciatalgies, talagies), de rhumatisme psoriasique, d’arthrite réactionnelle ou encore de maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI). 

1. Les uvéites antérieures aiguës liées à l’antigène HLA-B27
Elles constituent la cause la plus fréquente d’uvéite antérieure aiguë (52%), ces-dernières représentant le type majoritaire d’uvéites rencontré en pratique de ville (60%). Si 7% de la population générale sont porteurs de l’antigène HLA-B27, seul 1% de ces sujets B27+ sera atteint d’uvéite, statistique remontant à 13% en cas d’antécédents familiaux d’uvéite au 1er degré.   
Typiquement non granulomateuses (à précipités rétro-cornéens fins), unilatérales mais à bascule (touchant un œil par poussée avec alternance possible aux poussées suivantes), parfois à hypopion (sédiment de débris cellulaires inflammatoires en chambre antérieure), les uvéites HLA-B27+ sont volontiers fibrineuses et très synéchiantes (les synéchies irido-cristalliniennes sont des adhérences inflammatoires entre l’iris et la face antérieure du cristallin). 

             
Figure 2 : Aspect clinique et éléments sémiologiques classiques d’une uvéite antérieure aiguë HLA B27+
(Illustrations © M.Guedj)

Son traitement est avant tout local, basé sur l’instillation horaire de collyres corticoïdes, avec décroissance progressive par paliers de quelques jours, et sur des agents mydriatiques pour prévenir ou faire céder des synéchies irido-cristalliniennes récemment formées.


2. Les sclérites et épisclérites
Une sclérite est une inflammation de la paroi du globe (la sclère) avec dilatation des vaisseaux scléraux, responsable de rougeur et douleurs intenses, qui est associée dans près de la moitié des cas à une maladie de système. Une épisclérite est une inflammation de la couche plus superficielle tapissant la sclère (l’épisclère) avec dilatation des vaisseaux épiscléraux, responsable de rougeur localisée et de douleurs très modérées voire inexistantes, qui est très rarement associée à une maladie de système. La différence entre ces deux entités peut donc être faite sur l’aspect clinique de la rougeur et l’intensité de la douleur (volontiers insomniante dans les sclérites), mais aussi grâce au test à la Néosynéphrine, vasoconstricteur local dont l’action permet de contracter seulement les vaisseaux épiscléraux -donc de faire disparaître la rougeur des épisclérites - mais pas les vaisseaux scléraux -inactif sur les sclérites-. Parmi les sclérites associées à une maladie de système (près de 50%), la polyarthrite rhumatoïde représente la première cause (soit plus de 30% des causes totales de sclérite), devant la maladie de Wegener (11%), les MICI (8%) et les polychondrites (4%) d’après Akpek et al. -Ophthalmology 2004-. Des causes infectieuses, dont le contexte est souvent plus manifeste, doivent également être recherchées (zona 11%, herpès 4%). Mais si les polyarthrites rhumatoïdes représentent 10 à 33% des cas de sclérite selon les études, moins de 1% des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde connaissent un épisode de sclérite au cours de leur évolution. En revanche, lorsque la sclérite est dite nécrosante (ou scleromalacia perforans), la polyarthrite rhumatoïde est de loin la cause dominante. 
             
Figure 3 (de gauche à droite) : sclérite nodulaire, sclérite nécrosante perforante et scléromalacie nécrosante sur polyarthrite rhumatoïde

L’atteinte nécrosante des sclérites est corrélée à une vascularite systémique extra-oculaire, donc à une mise en jeu du pronostic vital puisque la mortalité des patients non traités atteint jusqu’à 50% dans les 5 à 10 ans. En pratique, devant une sclérite nécrosante active, une hospitalisation est à organiser en urgence pour débuter des bolus de corticoïdes et de cyclophosphamide. 
Les sclérites classiques moins sévères (antérieures diffuses et nodulaires) peuvent répondre à un traitement par AINS oraux pour les moins graves et nécessitent parfois une corticothérapie orale en cure courte. Dans tous les cas, un bilan étiologique est à prescrire dès le premier épisode, avec facteurs rhumatoïdes, anticorps anti-CCP et ANCA notamment.
A l’opposé, les épisclérites, peu ou pas douloureuses et sans menace visuelle, ne nécessitent pas de bilan (hors épisodes trop fréquents) et guérissent spontanément dans la plupart des cas, avec une évolution émaillée de récurrences simples.


3. Les endophtalmies endogènes
La grande majorité des endophtalmies (réponse inflammatoire à l’invasion d’un germe dans l’œil) est d’origine exogène, c’est-à-dire qu’elles font suite à une chirurgie oculaire ou à une plaie du globe. Le terme d’endophtalmie endogène (2 à 15% des endophtalmies) désigne la dissémination à l’œil par voie hématogène d’un germe issu d’un foyer septique extra-oculaire. C’est en ce sens qu’elles peuvent être rattachées aux maladies systémiques. Elles touchent le plus souvent des sujets débilités (immunodéprimés, diabétiques, cancéreux) et sont soit d’origine bactérienne (suite à une chirurgie abdominale ou urologique par exemple) soit fongique (Candida albicans en tête, sur toxicomanie IV, endocardite ou dans un contexte d’antibiothérapie prolongée en soins intensifs). 
Le bilan infectieux est large (prélèvements infectieux multiples, de la porte d’entrée si possible, écho-doppler cardiaque, hémocultures -milieu de Sabouraud-, ponction de chambre antérieure et biopsie vitréenne) et le traitement antibiotique probabiliste, systémique et intra-oculaire (injections intra-vitréennes) à moduler selon les facteurs de risque et le foyer suspecté en attendant les résultats des prélèvements. 

Figure 4 : Hypopion géant au cours d’une endophtalmie endogène avec tableau de panuvéite



II. Les urgences avec BAISSE DE LA VISION
Deux types de baisse de vision sont à distinguer : la baisse de l’acuité visuelle (ou performance visuelle centrale), et l’altération du champ visuel (ou scotome) se manifestant comme une tache noire ou un voile, central ou périphérique. 

A. AVEC BAISSE DE L’ACUITE VISUELLE
De très nombreuses maladies systémiques peuvent être responsables de baisse d’acuité visuelle. Seules les causes les plus fréquemment rencontrées en pratique seront développées dans ce chapitre. 

1. L’uvéite de l’arthrite juvénile idiopathique
Principale cause d’uvéite chronique chez le jeune enfant, volontiers bilatérale et insidieuse, l’inflammation oculaire complique 20 à 30% des formes d’arthrite juvénile idiopathique sans qu’il n’existe de parallélisme entre la gravité des atteintes oculaire et articulaire. L’uvéite survient en moyenne un an après les premiers signes articulaires et a la particularité d’évoluer silencieusement (à œil blanc et indolore, avec baisse d’acuité visuelle progressive), justifiant un examen systématique à la lampe à fente chez tout enfant avec symptômes d’arthrite chronique de plus de 6 semaines. Lorsque l’enfant se plaint de baisse de vision, des complications sont souvent déjà constituées (œdème maculaire, cataracte, kératopathie en bandelettes, séclusion pupillaire avec synéchies sur 360° et hypertonie oculaire brutale), synonymes d’amblyopie (perte d’acuité visuelle définitive) en l’absence de traitement rapide. Celui-ci est avant tout local (corticoïdes topiques horaires en décroissance progressive, associés à des cocktails mydriatiques pour tenter de vaincre les synéchies irido-cristalliniennes) avec contrôle systématique à 24-48 H si l’atteinte est sévère initialement. Précisons que les injections péri-oculaires (latéro-bulbaire ou sous-ténonienne) en cas d’œdème maculaire sont en pratique très difficiles chez le jeune enfant et nécessitent une courte anesthésie générale. Enfin, un traitement systémique par corticoïdes oraux et immunosuppresseurs (méthotrexate) ou anti-TNF (adalimumab) -à visée d’épargne cortisonée- doit être débuté sans attendre dans les formes sévères mal contrôlées, à cause de la menace de complications oculaires et d’amblyopie rapide. Grâce à cette escalade thérapeutique plus précoce et à un meilleur dépistage, le taux de cécité lié à l’arthrite juvénile idiopathique a diminué de 15-38% dans les années 80 à 5% de nos jours.

Figure 5 : Synéchies irido-cristalliniennes, cataracte et “kératopathie en bandelettes” 
au cours d’une arthrite juvénile idiopathique


2. L’uvéite de la sarcoïdose
Première cause d’uvéite intermédiaire (inflammation primitive du vitré avec hyalite), typiquement associée à des vascularites rétiniennes périphériques et des lésions de choroïdite multifocale, la sarcoïdose peut aussi se compliquer fréquemment d’œdème maculaire responsable de baisse de la vision. Le tableau peut également prendre la forme d’une uvéite antérieure granulomateuse, volontiers hypertone et synéchiante, et dans ce cas douloureuse. Lorsque l’origine sarcoïdosique d’une uvéite est fortement suspectée, un dosage de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, un scanner thoracique à la recherche d’adénopathies médiastinales et un quantiféron ou une IDR tuberculinique -éliminant une tuberculose comme diagnostic différentiel classique- sont demandés rapidement. Ce bilan peut ensuite être complété par des biopsies des glandes salivaires accessoires ou des biopsies bronchiques étagées au cours d’une endoscopie avec lavage broncho-alvéolaire, à la recherche d’un granulome inflammatoire sans nécrose caséeuse signant le diagnostic histologique de sarcoïdose. Malgré cela, de nombreux cas ayant une présentation ophtalmologique typique de sarcoïdose restent sans preuve anatomopathologique et sont considérés comme “sarcoïdose présumée” et traités comme tels. Le traitement, uniquement suspensif, n’a pas pour but de faire disparaître toute trace d’inflammation mais de limiter les conséquences graves sur l’œil d’une inflammation non contrôlée (œdème maculaire, œdème papillaire, vascularites sévères, hypertonie). Certaines formes bénignes (hyalite minime sans retentissement visuel, vascularites périphériques isolées, adénopathies médiastinales hilaires simples asymptomatiques) sont d’ailleurs en abstention thérapeutique complète. A l’inverse, les formes graves -avec œdème maculaire bilatéral notamment- nécessitent d’emblée un traitement. Celui-ci est basé sur les corticoïdes, traitement de référence de la sarcoïdose, par voie orale en décroissance progressive (prednisone) mais aussi par injections intra- ou péri-oculaires (triamcinolone ou dexaméthasone) pour le traitement local de l’œdème maculaire. Un traitement immunosuppresseur (le méthotrexate en première intention) est associé pour les formes de sarcoïdose cortico-dépendantes ou en cas de complications des corticoïdes.
         
Figure 6 : Aspect OCT d’un œdème maculaire cystoïde et précipités rétro-cornéens granulomateux au cours d’une sarcoïdose oculaire

3. L’uvéite de la maladie de Behçet
Atteinte ophtalmologique grave dont les conséquences peuvent être rapidement dévastatrices sur la vision, la maladie de Behçet est bâtie sur faisceau d’éléments, au premier rang desquels figure l’aphtose buccale, critère indispensable au diagnostic. Les ulcères génitaux (définissant l’“aphtose bipolaire” s’ils sont associés à des aphtes buccaux), la pseudo-folliculite cutanée (pustules non centrées par un poil), les troubles génito-urinaires, digestifs et articulaires en constituent les atteintes classiques mais peu spécifiques si elles ne sont pas associées entre elles ou à un terrain évocateur (homme jeune, originaire du bassin méditerranéen -Turquie en tête- ou d’Asie, et porteur de l’antigène HLA-B51). Les atteintes vasculaires de la maladie (thromboses artérielles et veineuses, vascularites), particulièrement graves quand elles concernent le système nerveux central (neuro-Behçet) peuvent également toucher les vaisseaux rétiniens et conditionner le pronostic visuel.  L’uvéite est en effet un des critères clefs du diagnostic et est inaugurale de la maladie dans un cas sur cinq en moyenne. Non granulomateuse (à précipités rétro-cornéens fins), l’uvéite peut comporter une part antérieure aiguë et douloureuse, souvent à hypopion, mais toute sa sévérité dépend de l’atteinte postérieure (rétinienne), caractérisée par des foyers nécrotico-hémorragiques et des vascularites, et dont la localisation centrale peut faire chuter rapidement l’acuité visuelle.

        
Figure 7: Thrombose veineuse spectaculaire et foyers nécrotico-hémorragiques 
d’une atteinte rétinienne de  maladie de Behçet

Si la colchicine (pour l’aphtose), l’aspirine et les corticoïdes oraux sont suffisants pour les formes non sévères de la maladie et sans atteinte ophtalmologique, l’arsenal thérapeutique doit s’intensifier fortement en cas d’atteinte rétinienne même minime de Behçet. A la corticothérapie orale et aux anti-agrégeants plaquettaires, s’ajoutent alors des immunosuppresseurs (l’azathioprine en première intention) améliorant le pronostic visuel à long terme. Des bolus de cyclophosphamide peuvent même être associés à des bolus initiaux de Solumédrol dans les formes très sévères avec atteinte maculaire, avant un relais par azathioprine et prednisone en traitement d’entretien de plusieurs années. Le suivi est placé sous la menace constante de récidives homo- ou controlatérales, justifiant la plupart du temps le maintien au long cours de faibles doses de cortisone et d’immunosuppresseurs.

4. Les uvéites infectieuses
Si la première cause d’uvéite infectieuse postérieure reste la toxoplasmose oculaire, dont l’atteinte est strictement limitée à l’œil chez le sujet immunocompétent, de nombreuses causes infectieuses systémiques peuvent se compliquer d’uvéite avec baisse d’acuité visuelle. 
La famille des herpes viridae 
Les virus Varicelle-Zona (VZV) et Herpes Simplex (HSV) peuvent entraîner des rétinopathies virales nécrosantes dont l’évolution est très rapide et le pronostic redoutable. On parle de nécrose rétinienne aiguë (ARN, pour Acute Retinal Necrosis) chez l’immunocompétent, et de nécrose rétinienne externe progressive (PORN, pour Progressive Outer Retinal Necrosis) chez l’immunodéprimé. Si ces deux entités proviennent de la réactivation d’une infection herpétique latente, elles se distinguent par la réponse immunitaire de l’hôte : extrêmement inflammatoire pour l’immunocompétent, mais rétinite silencieuse et sans hyalite chez l’immunodéprimé. L’évolution habituelle de ces rétinites est sévère car elles peuvent se compliquer rapidement de nécrose du pôle postérieur, d’atrophie optique, de décollement de rétine et donc de cécité. Le pronostic est conditionné par la précocité du diagnostic et de la mise en route du traitement antiviral (Aciclovir ou Valaciclovir) mais reste malgré tout redoutable chez l’immunodéprimé.

          
Figure 8: Foyers confluents périphériques de rétinite virale, avec “front de nécrose” bien visible sur l’image de droite. Le diagnostic différentiel entre une ARN et une maladie de Behçet ou un lymphome intraoculaire primtif peut être particulièrement difficile.  

Par ailleurs la gravissime rétinite à CMV, infection opportuniste définissant l’entrée en stade SIDA du VIH+ au taux de CD4 inférieur à 50 cellules/mm3, est considérée comme une entité distincte. Sa fréquence et sa corrélation avec un pronostic vital très sombre ont été transformés par la généralisation des trithérapies antivirales dans les pays développés. 

De manière plus courante et moins dramatique, les virus de la famille herpes peuvent être responsables d’atteintes du segment antérieur (cornée, iris, chambre antérieure). De la classique ulcération cornéenne dendritique -au test à la fluorescéine- aux segmentites herpétiques antérieures avec hypoesthésie cornéenne, endothélite, atrophie irienne et hypertonie oculaire dans les formes typiques, les atteintes liées aux virus HSV ou VZV -dans le cadre d’un zona du ganglion de Gasser- sont fréquentes et se compliquent volontiers de récurrences. Elles nécessitent donc souvent, après le traitement d’attaque par valaciclovir (3g/j la première semaine), une corticothérapie topique et un traitement antiviral prolongés (valaciclovir 1 à 2 cp/j au long cours) dans les formes très récidivantes cortico-dépendantes et “valaciclo-dépendantes”. 
                                
Figure 9: Kératite herpétique dendritique (au test à la fluorescéine) et atrophie irienne 
au cours d’atteintes herpétiques du segment antérieur.

Les infections bactériennes systémiques
Les endophtalmies endogènes mises à part (traitées plus haut), certaines infections bactériennes peuvent déclencher des uvéites. Citons la tuberculose, souvent de forme latente, sans signe ophtalmologique pathognomonique (très rares tubercules de Bouchut) et dont le dépistage passe par une IDR à la tuberculine et une radiographie de thorax dans le bilan initial de la plupart des uvéites. En cas de forte suspicion, un quantiféron et un scanner thoracique pourront être demandés d’emblée, suivis des examens invasifs et histologiques recherchant le Mycobacterium Tuberculosis. Dans les rares cas où celui-ci est mis en évidence, une quadrithérapie classique s’impose. Dans les autres cas (présumés), un traitement d’épreuve de l’uvéite, encore peu consensuel, sera débuté au moindre doute et parfois également sous la forme d’une quadrithérapie. 

Figure 10: Tubercules de Bouchut au fond d’œil au cours d’une uvéite tuberculeuse


La syphilis, à ne jamais omettre et simulatrice par définition, est plus facile à identifier biologiquement et à traiter. La sérologie TPHA-VDRL fait partie du bilan de routine classique des uvéites et le traitement de référence par pénicilline est efficace dans la grande majorité des cas. En cas d’atteinte chorio-rétinienne, le traitement doit être calqué sur celui de la neurosyphilis (pénicilline IV). 

Figure 11: Infiltrat chorio-rétinien placoïde du pôle postérieur d’origine syphilitique

D’autres atteintes bactériennes avec complications oculaires sont possibles. Citons la maladie de Lyme, la leptospirose, la brucellose et la rickettsiose, aux présentations cliniques multiples devant faire préciser avec soin l’anamnèse (recherche de morsure de tique, d’escarre cutanée, de rash fébrile...) de toute uvéite d’aspect inhabituel amenant à suspecter une pathologie d’inoculation.
Enfin, l’uvéite liée à l’infection à Bartonella Henselae dans la maladie des griffes du chat peut présenter un aspect clinique de “neurorétinite stellaire” caractéristique et est généralement de bon pronostic même sans traitement (d’autant plus qu’aucun antibiotique n’a fait la preuve de son utilité).

Figure 12: Fond d’œil avec neurorétinite stellaire caractéristique de la maladie des griffes du chat



5. La maladie de Vogt-Koyanagi-Harada
Cause d’uvéite rare en Europe mais plus fréquente en Asie ou chez les latino-américains, la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada désigne une forme particulière d’uvéo-méningo-encéphalite, présumée auto-immune et dirigée contre les mélanocytes. L’uvéite est classiquement bilatérale, granulomateuse et synéchiante, avec atteinte postérieure caractéristique à type de décollements séreux rétiniens à la phase aiguë, évoluant vers une dépigmentation plus tardive du fond d’oeil (‘sunset glow fundus’) et du limbe. L’association typique mais inconstante avec une méningite lymphocytaire, une surdité de perception et un vitiligo doit être systématiquement recherchée. 

Figure 13: Décollements séreux rétiniens multiples objectivés sur la coupe OCT 
dans une maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

Le traitement repose sur une corticothérapie systémique à fortes doses en urgence, souvent initiée par des bolus de solumédrol, puis orale en décroissance douce. Cette attitude thérapeutique de première intention est bien souvent suffisante pour contrôler la maladie, généralement de bon pronostic grâce à une prise en charge précoce. Des immunosuppresseurs (type azathioprine) seront associés en seconde intention en cas de rebond inflammatoire postérieur précoce en cours de décroissance des corticoïdes oraux, ou d’emblée en cas d’état initial trop évolué (prise en charge tardive). Des rebonds inflammatoires limités au segment antérieur sont en revanche fréquents en fin de décroissance, et doivent être traités localement par corticothérapie topique simple.

6. Les vascularites rétiniennes du lupus
Les atteintes ophtalmologiques du lupus érythémateux disséminé sont dominées par les “vascularites rétiniennes”, inflammation de la paroi des vaisseaux suspectée cliniquement au fond d’œil et diagnostiquée formellement sur une angiographie à la fluorescéine, mais ne reposant jamais sur une preuve histologique comme pour les vascularites systémiques. Ces vascularites rétiniennes ne sont responsables de baisse de vision que si elles sont compliquées d’œdème maculaire ou papillaire, de hyalite dense ou d’occlusion vasculaire avec ischémie rétinienne. 
La rétinopathie lupique peut prendre la forme typique de “rétinopathie de Purtscher”, décrite à l’origine dans les suites d’un traumatisme non direct sur l’œil et caractérisé par l’association au fond d’œil de nodules cotonneux et de taches blanches (fleckens) répartis autour de la papille. 
      
Figure 14: Nodules cotonneux bilatéraux de répartition péripapillaire (rétinopathie de Purtscher)

Ce tableau (dit “pseudo-Purtscher” ou “Purtscher like” s’il ne survient pas en contexte traumatique) doit faire rechercher une pancréatite aiguë et des vascularites systémiques (lupus et syndrome des antiphospholipides en premier lieu, mais aussi sclérodermie, dermatomyosite, syndrome hémolytique et urémique, purpura thrombotique thrombocytopénique, cryoglobulinémie…).
Le traitement reste celui de l’étiologie et pourra comprendre corticoïdes, anticoagulants, plasmaphérèses ou immunosuppresseurs. 


7. Les complications du diabète et de l’hypertension artérielle
Pour finir cette partie, citons le diabète et l’hypertension artérielle (pouvant être qualifiés d’atteintes “systémiques”) dont l’atteinte rétinienne peut entraîner une baisse de vision rapide. 
  Le diabète peut être responsable de baisse d’acuité visuelle de deux manières :
- par les complications d’une rétinopathie diabétique proliférante
La rétinopathie diabétique (périphérique) se classe selon son stade : “non proliférante” (minime, modérée ou sévère) avant l’apparition de néovascularisation rétinienne, ou “proliférante” dès l’apparition des premiers néovaisseaux. La prolifération anarchique de ces néovaisseaux peut se compliquer d’hémorragie intra-vitréenne (s’ils saignent dans le vitré), de décollement rétinien tractionnel (s’ils tirent sur la rétine) ou encore de glaucome néovasculaire. Cette dernière complication fait intervenir le passage de VEGF (facteur de croissance endothélial vasculaire, sécrété par les zones ischémiques de rétine périphérique) du vitré en chambre antérieure, stimulant la prolifération de néovaisseaux iriens (“rubéose irienne”) qui en envahissant l’angle irido-cornéen vont bloquer l’accès au trabéculum et faire monter brutalement la pression intraoculaire, avec un tableau d’œil rouge, douloureux et très dur au toucher.
- par la maculopathie diabétique
Indépendante du stade de la rétinopathie, la maculopathie (œdème maculaire) est la première cause de baisse d’acuité visuelle chez le diabétique. Son traitement repose sur des injections intra-vitréennes d’anti-VEGF ou de triamcinolone.
Dans tous les cas, un équilibre glycémique et tensionnel rigoureux est essentiel à tous les stades  chez le patient diabétique.  
  La rétinopathie hypertensive peut se compliquer d’œdème papillaire, responsable de baisse de vision (stade III). Si elle n’a pas de répercussion sur la vision dans sa forme chronique, la rétinopathie hypertensive aiguë est symptomatique et doit être prise en charge en urgence par traitement anti-hypertenseur. 


B. AVEC ALTERATION DU CHAMP VISUEL
L’amputation d’une partie du champ visuel est au mieux objectivée par un champ visuel manuel de Goldmann mais peut être dépistée par une confrontation rapide (au doigt) dans un contexte d’urgence. 
1. La maladie de Horton
Les atteintes ophtalmologiques graves de la maladie de Horton sont dominées par les névrites optiques ischémiques antérieures aiguës (NOIAA, 90%) suivies des occlusions de l’artère centrale de la rétine (OACR, 10%). 
Une NOIAA est un infarctus de l’artériole vascularisant la tête du nerf optique dont l’aspect au fond d’œil est celui d’un œdème papillaire circonscrit de petites hémorragies en flammèches. Si elle est liée le plus souvent à une artériosclérose chez un patient âgé aux facteurs de risque cardio-vasculaires, la NOIAA doit faire éliminer une artérite inflammatoire de Horton par la demande d’une CRP en urgence et la recherche des signes cliniques caractéristiques de la maladie (céphalées, douleurs de pseudo-polyarthrite rhizomélique, hyperesthésie du cuir chevelu, claudication intermittente de la mâchoire et asthénie chez un sujet de plus de 60 ans). Elle est responsable d’un scotome d’abord altitudinal (amputation de l’hémi-champ visuel supérieur ou inférieur selon un axe horizontal coupé au cordeau) pouvant s’étendre rapidement jusqu’à la cécité complète, et même se bilatéraliser en cas d’atteinte controlatérale. 
       
Figure 15: Aspect de névrite optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) au fond d’œil et scotome altitudinal de l’hémi-champ visuel inférieur gauche sur découverte de maladie de Horton

En cas de CRP élevée, et sans attendre les résultats de la biopsie d’artère temporale (affirmant le diagnostic), un traitement corticoïde fortes doses doit être débuté dans l’urgence, idéalement par bolus de Solumédrol sur 3 jours, relayés par une corticothérapie orale par prednisone 1 mg/kg/j en décroissance très progressive avec mesures associées habituelles et traitement anti-agrégeant plaquettaire par Aspirine. Une fois seulement le traitement débuté, la pratique rapide d’une biopsie d’artère temporale permettra de confirmer le diagnostic sur l’examen histologique du fragment prélevé (3 cm en théorie même s’il reste difficile en pratique de prélever plus de 1,5 cm) mettant en évidence une panartérite giganto-cellulaire segmentaire et focale infiltrant les trois tuniques avec nécrose fibrinoïde de la media. 
Autre complication possible mais moins fréquente de la maladie de Horton, l’occlusion de l’artère centrale de la rétine (OACR) est comme les NOIAA le plus souvent liée à une artériosclérose banale du sujet polyathéromateux. Une CRP en urgence est néanmoins la règle et la prise en charge en cas d’élévation anormale de celle-ci est la même que pour une NOIAA, l’objectif étant moins de traiter les dommages visuels sur l’œil malade (presque toujours irréversibles) que de prévenir une atteinte controlatérale. 


Figure 16: Occlusion de l’artère centrale de la rétine (OACR) 
avec pâleur ischémique du pôle postérieur et macula “rouge cerise”




2. La sclérose en plaques
 D’une part, la sclérose en plaques peut être responsable d’uvéite intermédiaire avec hyalite et engainements vasculaires rétiniens, le plus souvent peu symptomatique et ne nécessitant pas de traitement particulier en l’absence d’œdème maculaire associé. Si elle entraîne un œdème maculaire important, symptomatique et bilatéral, le traitement sera initié par des bolus de solumédrol, parfois relayés par corticothérapie orale et/ou immunosuppresseurs, mais pour lequel les anti-TNF sont contre-indiqués.
 D’autre part, la sclérose en plaques peut se compliquer de scotome central d’apparition rapide en cas de névrite optique rétro-bulbaire (NORB), à objectiver sur un champ visuel de Goldmann. En cas de baisse de vision importante, l’administration de bolus de Solumédrol (1 g/j sur 3 jours) accélère la récupération fonctionnelle. En revanche ces bolus ne doivent pas ici être relayés par une corticothérapie orale qui multiplierait par trois le risque de récidive de NORB dans les deux ans. L’IRM cérébrale (et médullaire) permet d’identifier une plaque démyélinisante active sur le trajet du nerf optique concerné et de rechercher d’autres lésions associées ou d’âge différent, témoins d’une dissémination temporo-spatiale dans les formes typiques de sclérose en plaques.

3. Les atteintes oculaires iatrogènes des traitements systémiques
Elles ne rentrent pas directement dans le cadre de ce sujet mais il est important de rappeler que la rifabutine et le pamidronate sont des pourvoyeurs notoires d’uvéites, ainsi que de sclérites pour les biphosphonates.
Par ailleurs, certaines manifestations paradoxales d’uvéites survenant ou s’aggravant sous anti-TNF (étanercept en tête) ont été décrites, chez des malades traités pour spondylarthropathies (associées à des uvéites HLA-B27+) mais aussi chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (maladie non inductrice d’uvéite)! Ainsi, l’utilisation d’infliximab ou d’adalimumab est à préférer à l’étanercept comme traitement des uvéites B27 réfractaires avec atteinte extra-ophtalmologique, de même qu’un switch de l’étanercept pour l’une de ces deux molécules (ou pour un anti-CD20 dans les polyarthrites rhumatoïdes) est à recommander en cas d’exacerbation paradoxale d’uvéite sous traitement anti-TNF. 
Enfin, il existe des toxicités directes de certains médicaments: l’éthambutol peut induire des neuropathies optiques. Quant au Plaquenil, il est responsable de maculopathie (irréversible une fois constituée) dont les premiers signes sont dépistés sur le champ visuel maculaire central (Humphrey 10.2 des 10° centraux) et l’électrorétinogramme multifocal. Ces deux examens doivent être pratiqués dans l’année d’introduction du traitement, chaque année en alternance pendant les 5 premières années, puis tous les 6 à 8 mois après cinq ans de traitement (surveillance plus rapprochée à mesure que la dose cumulée augmente). 



III. TROUBLES OCULO-MOTEURS ET DIPLOPIE
La survenue d’une diplopie binoculaire doit avant tout faire éliminer 3 urgences : 
Un anévrysme de la terminaison de la carotide interne ou de l’artère communicante postérieure, comprimant le nerf oculomoteur (III) au niveau de la base du crâne avec pour conséquence une paralysie du III extrinsèque (paralysie oculomotrice et ptosis) et intrinsèque (mydriase aréactive) douloureuse.
Une maladie de Horton, pouvant se manifester par un III extrinsèque douloureux.
Une hypertension intracrânienne, avec souvent paralysie du VI (nerf abducens) non localisatrice et œdème papillaire de stase au fond d’œil si l’HTIC est assez prolongée.
Ainsi, une imagerie cérébrale (angio-IRM au mieux) et une CRP sont à demander en urgence devant un tableau de diplopie binoculaire d’apparition brutale. 
Parmi les autres causes moins urgentes et à la symptomatologie généralement plus progressive, citons le diabète (neuropathie ischémique du III et du VI, pouvant parfois simuler une cause neuro-vasculaire), la sclérose en plaques (ophtalmoplégie inter-nucléaire par atteinte de la bandelette longitudinale postérieure), le macro-adénome hypophysaire compressif (plus volontiers responsable d’hémianopsie bi-temporale que de diplopie), la myasthénie (diplopie et ptosis variable dans la journée) et la maladie de Basedow. Dans le cas de cette dernière, l’orbitopathie basedowienne (exophtalmie >18 mm, axile, bilatérale et symétrique, réductible, indolore avec asynergie oculo-palpébrale) n’entraîne pas de diplopie ou de trouble oculomoteur dans sa forme non compliquée. L’orbitopathie maligne, complication grave du Basedow, est en revanche douloureuse, non réductible et surtout associée à une paralysie oculomotrice avec diplopie. Elle impose un scanner urgent, une corticothérapie intraveineuse rapide et parfois même un traitement chirurgical ou une radiothérapie rétro-oculaire.

IV. ATTEINTES PSEUDO-TRAUMATIQUES
Parmi les causes et exemples déjà mentionnés plus haut, signalons encore que les polyarthrites rhumatoïdes compliquées de sclérites nécrosantes peuvent prendre la forme d’atteintes pseudo-traumatiques pré-perforantes du globe oculaire (voir figures 3b et 3c) et que les tableaux de rétinopathie de Purtscher doivent, en l’absence de traumatisme crânio-thoracique ou des os longs, faire rechercher des vascularites systémiques (lupus, SAPL, SHU…) ou une pancréatite aiguë (voir figure 13).

V. CONCLUSION
La synthèse de cette longue question peut être proposée sous la forme d’un tableau rappelant les principales atteintes ophtalmologiques rencontrées selon les causes systémiques les plus fréquentes.
Ce tableau ne sera pas fait.

FIN

(CHAPITRE du livre “MALADIES RARES ET MéDECINE D’URGENCE”

DE LA SOCIéTé française de médecine d’urgence  ©Springer )

M.G.